vendredi 27 janvier 2017

Mark PRITCHARD : "Under the Sun"



« Il bruinait ce soir-là sur les hauteurs. Nous trinquâmes tous deux de quelques verres de vin, contemplant l’amoncellement  de nuages qui étouffait  lueurs et rumeurs de la cité orgueilleuse qui s'étalait en contrebas. Nous étions transis et encapuchonnés, l’air sentait l’eau, le carillon de l'église rythmait un temps arrêté. »

L’individu possède un curriculum long comme le bras qui s’étend facilement sur les deux dernières décennies écoulées ; une génération. Artisan producteur  de bas-côtés  de tout ce que la musique électronique a pu générer comme sous-genres et à-côtés  épileptiques, de la techno, drum & bass au dubstep, grime ou dancehall …  Un parcours scrupuleusement cantonné dans un underground de bon aloi qui néanmoins n’explique  en rien  ce deuxième album sous son  nom,  qui flirte davantage avec une idée presque surannée de l’ambient et des musiques de traverses qui se pratiquaient au mitan des années 70’s… Sain retour vers une protohistoire fantasmée et assumée comme un atterrissage en douceur au milieu de la surenchère et des excès des productions contemporaines. Une épure introspective qui oscille entre nostalgie et froide contemplation opérée à une saine distance. Lent et progressif drone d’introduction, portant en son interrogation nominale toute l’ambiguïté de l’album : les directions sont ouvertes et multiples, calme et sérénité n’empêcheront pas un certain malaise de poindre derrière cette solitude nébuleuse de matin gris. On s’envole et s’évapore avec « Give It Your Choir », qui au fil des synthés séquencés, ancre définitivement l’album dans une temporalité révolue ; la présence spectrale d’un hypothétique Brian Eno en imprègne le chant diffus. Vignettes musicales en forme de jeu de miroirs qui se suivent et déclinent dans l’infini d’échos doux et amers. Thom Yorke prête le spleen de sa voix filtrée pour un électro-blues sous sédatifs. Ambiances planantes et rêveuses  jamais loin de cette complaisante sensation d’inconfort.  « You Wash My  Soul » tire l’ensemble vers une pureté spirituelle éthérée lorsque « The Blind Cage » nous maintient la tête à la surface de l’eau, dans le flux continu d’un exercice d’introspection aride.  De ce subtil écheveau de fils d’Ariane enchevêtrés, l’éponyme morceau « Under the Sun » convoque le contrepoint médiéval dans une mise en abyme feutrée. Saut dans le vide, plongée sans filet, on s’immerge et on se noie à la recherche d’un soleil effacé sous nos pas. Retour de trip dont on ne s’en extirpe qu’à contrecœur. Ebahi. Hagard. Hébété.
Dehors, la violence toute ordinaire du théâtre des choses bat son plein ; sous le soleil, exactement.


L'Un.


Mark Pritchard "Under the sun" (Warp. 2016)

dimanche 15 janvier 2017

UNKNOWN INSTRUCTORS : "The way things works"


Une vague madeleine aux accents proustiens  foutrement rancis, déballée un matin glacial et venteux d’une décennie aux abois déjà perdue (la notre…). Ca  renvoie à pas loin de trois décennies en arrière au cœur de ces années 80’s fétichisées à tout va. Prétexte d’une perpétuelle réunion entre potes, d’une jam-session sans fin. Excuse mineure pour digresser sur ce qui n’a pas été digéré… « It was in a summer, of 1982, when she met, the redeemer ». Prétexte à un roboratif voyage vers des temps insouciants et féconds sur un mode mineur « que sont-ils devenus », une certaine nostalgie de mise.
Décortiquer cet Unknown Instructors, paru en 2005 (déjà), c’est retracer un petit bout des prémices de ce que les majors auront par la suite récupéré et labellisé «indie-rock ». Un pan d’histoire marginal aux incalculables conséquences. Unknown Instructors, c’est ¼ de Saccharine Trust (Joe Baiza : guitare), 2/3 (plus connus) de Minutemen (Mike Watt : bassse, George Hurley : batterie), coreligionnaires du label SST alors à son apogée, avec quelques Sonic Youth, Black Flag, Meat Puppets et autres Hüsker Dü.  Si les Minutemen s’inscrivent aujourd’hui dans une certaine légende  underground de bon ton, Saccharine Trust n’aura jamais connu de succès autre que l’estime de ses pairs, avec leur crossover de beatnicks jazz-punk  (Minutemen se chargeant pour leur part d’établir un lien entre le l’urgence du hardcore punk,  le folk imprécatoire de Dylan et le Blue Oyster Cült).  Retrouvailles entre vétérans qui ne se sont jamais vraiment perdus de vue donc ; qui ne se sont jamais vraiment arrêtés en fait, continuant de s’enfiler une heure de gammes au petit déjeuner, comme d’autres baiseraient à la même heure en écoutant Parker ou Mingus. Retrouvailles informelles en forme de potlatch des temps modernes : le but n’étant pas de marquer son temps avec des compositions figées dans le marbre, mais de marquer l’espace d’un temps d’arrêt rétrospectif. Unknown Instructors n’est rien de plus qu’un énième prétexte pour de vieux punk rockers élevés au jazz et aux idées libertaires à taper le jam ensemble, fidèles à cette tradition d’improvisation libre que la structure du label SST - géré par des musiciens - entretenait : Minuteflag (Minutemen vs Black Flag), October Faction (Baiza avec des gars de Black Flag et Tom Trocolli), Tom Trocolli’s Dog (avec le guitariste de Black Flag, le power jazz trio Bazooka, où Jack Brewer de Saccharine trust vient déclamer ses ver(re)s, et l’intemporel « Worldbroken » de Saccharine Trust, musique et poésie improvisées en une nuit avec l’aide de quelques casiers de bières et… un certain Mike Watt à la basse. Rien de nouveau donc, 25 ans plus tard, les protagonistes se posant là en gardiens d’une flamme alors déjà vacillante : jouer,  tourner et taper le bœuf, les pieds nus dans la nuit californienne cannibale. Le trio erratique porte la poésie urbaine et désabusée de Dan Mc Guire ( ?) et  l’inénarrable Jack Brewer, ce dernier, combiné au jeu de guitare délié de Joe Baiza, nous  donnant surtout l’impression d’assister à une répét’ d’un improbable nouvel album des  Saccharine Trust.  La musique louvoie et entre rock et jazz distillant un groove épais et entêtant. Si elle peut interpeller le profane, il est certain qu’elle ne brille pas par son originalité pour qui connait un peu les curriculum vitae des protagonistes. Mais là n’est pas le propos : on parle de célébration d’une époque révolue.  Révolue en ce qu’elle portait plus ou moins consciemment en elle une fraicheur  et une énergie presque naïve, et à priori peu calculée. Aujourd’hui pareille démarche (des potes de labels qui tapent le bœuf ensemble) paraitrait improbable. Ou alors on appellerait ça un « super groupe », plan de carrière et de com’ en filigranes. Au bout du compte, ces pieds nickelés semblent plus connectés à la Beat Generation des années 60’s que véritablement adaptés au cynisme ambiant d’une époque prédatrice et dépassionnée. Un disque anecdotique, comme une porte ouverte sur tout un monde aujourd’hui  fermé à nos cinq sens,  pour paraphraser le poète.


L'Un.


UNKNOWN INSTRUCTORS : "The way things work" (SmogVeil. 2005)












mercredi 4 janvier 2017

a 2016 catch-up... Bowie, Prurient, Poliça, Dylan et les autres


L’exercice du best-of de l’année écoulée ne servant à rien, puisque l’année  se situe précisément derrière soi, on préfère ici la ligne éditoriale tout aussi feignasse mais ouvrant de manière inouïe l’horizon de la lunette arrière de bagnole, en proposant une liste très select de ces quelques albums, qu’on aura au final pas chroniqué dans ces pages, pour une raison ou pour beaucoup de mauvaises autres. Exercice de rattrapage cheap en forme de mea-culpa pour bien aborder une année vierge (et sobre).





Die ANTWOORD « Mount Ninji and da nice time Kid »
Chaud bouillant pour chroniquer ce qui devrait constituer le dernier témoignage sonore des sud-af’… Un mauvais goût putassier toujours aussi stylé, capable de faire la nique à un hip-hop US souvent englué dans une course sans fin vers la médiocrité du divertissement de masse… Chaud bouillant… si cependant il ne manquait pas ce petit quelque chose (en afrikaner dans le texte) qui les tirerait vers le haut, très haut perché dans la zef-osphère 
Dommache.

 


PRURIENT « frozen Niagara falls »
Il est de ces monuments auxquels on n’ose pas vraiment s’attaquer, faute de trouver le bon angle d’attaque. Eprouvante cathédrale sonore de noise-indus cathartique. Mais pas que... 
Total (-itaire)





SWANS « the Glowing Man »
un peu comme pour Prurient... sauf que là on parle d’un vin qui ne cesse de continuer à bien vieillir malgré un précédent millésime déjà classé parmi les grands crus (To Be Kind) . Cépage Merlot. Puissant en bouche et long au palais. Mieux vaut boire la bouteille...





GONJASUFI  « Callus »
Impossible à chroniquer sans un mix bien senti à base de neuroleptiques et de sédatifs puissant. Mais c’est malheureusement interdit en grande surface...







POLIçA « United Crushers »
Plus catchy, dansant et (presque) mainstream, tu meurs. Le petit plaisir secret et honteux (avec le 1° Warpaint  - voilà : maintenant vous savez tout de la vie sexuelle de l’Un des Energumènes). Bien gaulé, classe et sans prétention (contrairement à…. Voyons voyons…  St Vincent, tiens !). 







SUNN  O)))  « Kannon »
Oui : pourquoi on n’est pas foutus d’écrire ne serait-ce que cinq lignes et un long « auuuum » guttural de rigueur pour célébrer le retour des maitres encapuchonnés  du méta(l)-drone ? Parce que promis, on se rattrapera sur leur prochain album… Un salutaire retour aux sources....







David BOWIE « Black Star »
Jusqu’au bout il n’aura cessé de nous bluffer, le vieux renard ! Album somptueux et toujours inscrit dans l’air du temps qu’il n’aura cessé de humer. Juste… juste qu’il y a sur la toile et sur le papier des plumes hautement plus qualifiées  pour se coller aux éloges dithyrambiques !  En toute humilité.






ELECTRIC ELECTRIC  "III"
Désolé les gars, mais pareil exercice de polyrythmie verticale ne se chronique pas avec 2 doigts dyslexiques sur un clavier poisseux. Mieux vaut défendre vos couleurs en assistant à un de vos concerts pour le moins... électriques…






DANNY BROWN "Atrocity Exhibition"
Parce qu’ici... écrire ne serait-ce que quelques lignes sur du (très bon) hip-hop, on a toujours été un peu djust… Le grower de cette fin d'année...






NICK CAVE « Skeleton Tree"
... quand on connait la sordide histoire qui se tapit derrière ce sombre opus,  c’est  une réelle pudeur qui  nous aura empêché. Douloureusement intime; un peu de retenue… 





BOB DYLAN
Rien... Rien sur Bob parce qu’il a eu le Nobel (et rien sorti d’intéressant depuis une 30taine d’années. Et toc).