vendredi 19 décembre 2014

Andrea BELFI : Natura Morta

Depuis le remarquable et conceptuel  « Knot »,  premier effort en solo, Andrea BELFI n’aura cessé de redéfinir le cadre de ses préoccupations, remettant (en jeu) son set de batterie au centre d’expérimentations et collaborations diverses.  « the Myth of Persistence… », « Pulses & Places », « Wege »…  : une discographie conséquente se déclinant comme autant de variations réductionnistes pour  pulsations décharnées sur oscillations électro-acoustiques ; la dite batterie  souvent intégrée au dispositif électronique.
Avec  « Natura Morta », BELFI renoue avec l’introspection du travail en solitaire de « Knot », replongeant dans un continuum obsessionnel, où le percussif se réapproprie discrètement le rôle central et moteur autour d’un fragile canevas de boucles de synthés analogiques entrelacées. Disque de batteur désormais en apesanteur, observant d’un calme rituel un phénomène vibratoire, organique et pulsatif constamment réinventé. Lent déploiement contrôlé de trames sous-jacentes et résurgentes.
En se tenant à une saine et raisonnable distance entre les univers parallèles de l’électroacoustique la plus exigeante et d’un post (post)(kraut) rock , Andrea BELFI évite tout académisme figé et la redite chiante, délimitant de la sorte un espace de jeu hypnotique et n’appartenant qu’à lui seul. Dans le doute, on pourra  sans trop de risque rattacher son œuvre à cette hypothétique  « école minimaliste italienne » : un refuge de vieux potes basé à Bologne, ouvert à tout horizon, et dont je n'ai probablement pas fini de parler dans ces pages. 

L'Un.

Andrea BELFI : "Natura Morta" (Miasmah. 2014).


jeudi 27 novembre 2014

PUNCH : They don't have to believe.

Ça aurait pu être un de ces groupes  interchangeables sans originalité, aucune ; sous-produit de ce que les banlieues résidentielles américaines de la white middle class savent nous pondre au kilomètre : une musique hardcore répliquée à l’infini, un espace  de révolte codifiée cristallisant l'angoisse du mâle adolescent face à un monde glissant et incertain. Plus ultras que leurs prédécesseurs à qui ils contestent une soi-disant  « légitimité », des ces groupes qui ânonnent avec la conviction du zélote un prêchi-prêcha copié-collé ad-nauseam : antifa, pro-végan, anti-homophobe, féministe. Un positionnement politico-arty  dont l’esthétique radicale vient souvent en contradiction avec les codes virils du genre.
Et PUNCH aurait très bien pu faire partie de ces groupes-là.
Mais voilà :  le quintette de Frisco au nom en forme de manifeste n’y va pas par 4 chemins, hésitant rarement ente le plexus et la trachée. La différence tient dans ce sentiment d’urgence totale et sans filet. Directe et sans afféterie, la musique sans être originale brille par une qualité d’exécution sauvage et maitrisée. Fragile équilibre de tous les instants porté à bout de bras par ce petit bout de femme en furie, qui s’escrime à hurler, frontale et possédée. Meghan O’Neil apporte au hardcore punk cette petite part de Yin (principe féminin) qui fait si souvent défaut. PUNCH  ne régurgite pas un catéchisme bien appris mais se l’accapare et l’incarne littéralement avec tous les excès propres au genre. Un batteur monstrueux propulsant le reste du groupe dans des strates encore insoupçonnées sur leur précédent album.
PUNCH ? une musique centrifuge.

L'Un.

PUNCH : "they don't have to believe" (Deathwish. 2014).

vendredi 14 novembre 2014

mixtape solo #3

2° mixtape par l'Un des energumènes. Sur le même principe que la précédente (superposition, modification d'enveloppe), mais loin d'être aussi méditatif... Plus tendu, tourmenté et fuligineux, comme au sortir d'un rêve agité dont on à peine à s'abstraire.



TRACKLIST :
Pantha du Prince & the Bell Laboratory : wave
Steve RODEN : Airform
MACHINEFABRIEK : Slapping Dance
BORBETOMAGUS & VOICE CRACK : #1 (asbestoshake)
I8U : Boson
HAXAN CLOAK : Mara
HAXAN CLOAK : Mirror Reflecting
HAFLER TRIO : Masturbatorium
David TOOP : The Slapping Gun
BARK ! :
HAFLER TRIO : FUCK
Steve FISK : amateur european
YOU FANTASTIC ! : riddler ep
Han BENNINK : another mess
CUT HANDS : rain washes over schaff
CUT HANDS : who no know go knows
MOUTHUS : century of divides
CARTER TUTTI VOID : V3
HIGH WOLF : Freedom or death
EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN : Durstieges Tier
SONIC YOUTH : Lee is free
Michael BROOK : vacant
Steve RODEN : Winter Couplet
 

mardi 28 octobre 2014

GODFLESH : "A world lit only by fire"



La précédente chronique publiée en juin dernier relatait d’un come-back en deux temps inespéré  de ce duo fondateur de la tendance la plus lourde du métal. Et il était justifié d’émettre quelques réserves formelles : le format 4 titres laissait sur sa faim après un hiatus de 13 ans, ouvrant des pistes improbables, du GODFLESH qui s’ingéniait à se rejouer sans se parodier, certes, mais trop compact et ramassé sur lui-même pour vraiment entrevoir une suite évitant certains écueils de mise. On pouvait aussi craindre que les atermoiements mélancoliques du (trop ?) prolixe projet JESU n’aient altéré la nature profonde de Justin K Broadrick, l’empêchant de remettre à flot sa part la plus sombre. Oiseau de mauvais augure, « A World Lit Only By Fire »,  balaie d’un revers de main cinglant les derniers doutes possibles. Madeleine de Proust truffée d’éclats de verre pilé qui nous charrie CE PUTAIN DE SON. Séminal. Une marque de fabrique que les progrès technologiques récents n’auront en rien altéré la charge primitive viscérale des débuts. GODFLESH revient parmi les siens, bien décidé à en découdre avec son époque. Ce qui frappe d’entrée, avec le bien-nommé « New Dark Age », c’est cette rage intacte dans la voix étouffée  de Broadrick, en prise avec sa guitare tendue à l’extrême et toujours ponctuée de soubresauts épileptiques. C’est la basse pachydermique, distordue et sous accordée, surtout, cette basse nauséeuse à la pulsation imparable qui nous rappelle à quel point la force tranquille de Ben CG Green  est  fondamentale dans l’alchimie du duo. Ces deux-là sont indéniablement une paire de complices indéboulonnables qui avaient visiblement encore pas mal de choses à dire. Partenaires en crime parfaitement rebootés, Justin K Broadrick et Ben CG Green s’en retournent à leurs  teigneuses amours de jeunesse, lorgnant de façon appuyée vers la proto-période des totalitaires « Streetcleaner » ou « Slavestate », quand le précédent « Decline & Fall » creusait son sillon dans la veine finale et désabusée de « Hymns ». Cauchemar urbain froid et implacable, les morceaux se succèdent, et finissent par fusionner dans un magma profane : c’est bien du GODFLESH. Un groupe qui depuis  25 ans colle si parfaitement à son époque. Peut-être parce que le monde dans lequel nous nous essayons à vivre n’a lui non plus cessé de rester figé dans une gangue morose qui rappelle l’imminence du néant à venir. Quelques moments exquis à se pâmer dans un état de stase sursitaire avant le Dernier Repas; « Forgive our Fathers » pour citer le plus étrangement apaisé de leur titre.

L'Un.

GODFLESH : "A world lit only by fire" (AvalancheRecordings. 2014)




jeudi 9 octobre 2014

OPERATING THEATRE (aka Roger Doyle) : Rapid Eye Movements


A mon grand déshonneur assumé, je me suis longtemps méfié de Pierre Henry que j'ai toujours trouvé chiant et emphatique. Un de ses anciens élèves me l'avait aussi confirmé ce qui fait se sentir un peu moins seul. Dans les « classiques » de ce genre que certains qualifieront d'obtus, je lui préfère nettement Luc Ferrari ou Parmegiani. Un peu comme on peut préférer John Cage à Boulez ou encore AC/DC à Extreme Noise Terror dans un autre registre : question de sécurité auditive et de confort intellectuel, ce qui est loin d'être négligeable de nos jours. "A l'époque", une primo-initiation intégrée et réussie à la musique électroacoustique passait plus par les déviances de noiseux égarés avec les prétentions faussement scientifiques de The Hafler Trio ou le psychédélisme concret des Nurse With Wound, formations autrement plus excitantes car ouvertes aux vents de la musique pop et de l'extrémisme post-industriel (on ne mesurera jamais assez les incalculable conséquences de l'iconoclastie bruitiste des Throbbing Gristle sur la production musicale des 30 années qui allaient suivre ), ce qui est plutôt flatteur pour les oreilles d'un post-ado en quête du son parfait. Operating Theatre, m'a été recommandé par un disquaire atrabilaire au nez fin (en ces temps pléistocènes où les disquaires indés avaient la tête hors de l'eau et le pignon sur rue, pas sous le pavé...) comme une alternative heureuse à un énième et sempiternel Nurse With Wound, les deux formations étant partenaires de label. Mais la boucle se bouclait certes alors, la musique d'Operating Theatre ayant plus à voir avec Pierre Henry et Ferrari, que les agités sus-cités. L'alternative heureuse tient du miracle sonore. Derrière les manettes orchestrant cet obscur théâtre des opérations, un seul nom, Roger Doyle, vétéran irlandais dont la biographie à elle seule confirme mes assertions. Discret mais toujours en activité, il a été récemment primé au festival de musique électroacoustique de Bourges.
Selon les (rares) rééditions, le contenu variant d'un disque à l'autre, je limiterais la revue de disque au morceau éponyme (d'une durée d'environ 30 minutes) : R.E.M, pour Rapid Eye Movements, soient les mouvements des globes oculaires que l'on peut constater derrière les paupières closes pendant les phases de rêve d'un individu, comme si celui-ci regardait l'objet de son rêve. Titre prétexte à tout contenu vaguement rêveur ou indéfini, chargé de réminiscences, de récurrences et de phases régressives. Ne pas y voir une tentative pseudo scientifique pour essayer de retranscrire soniquement les différentes phases de sommeil ; the Hafler Trio (H3°) étaient très bons pour ce genre d'agréables impostures.
Par l'intensité des ses flux sonores Rapid Eye Movement opère à la manière dun poison : une douce décharge sédative qui s'insinue dans le creux des oreilles. Le travail en studio de collage et de recomposition des bandes magnétiques opéré par Roger Doyle relève du travail d'horloger s'ingéniant non à assembler un réveil mécanique, mais à disséquer la boîte à rêves en respectant la trame temporelle décousue et agitée du sommeil. Déflagrations en forme de glissandos électroacoustiques incessants nous faisant basculer d'un univers à l'autre, d'une réalité à l'autre, toujours en équilibre précaire, aux marges de la conscience. Entre, s'intercalent des séquences plus narratives, composées de nombreux enregistrements de voix diverses (enfants, voix d'adultes en divers endroits), de bruits urbains qu'on qualifiera d'infra-ordinaire (supermarché, bruits de plage, travaux dans la rue, manipulations d'objets, extraits radio...) et d'un piano mélancolique. La récurrence de certains de ces éléments (le piano, les voix d'enfants) crée l'impression de déjà-vu ou de rémanence auditive propre au flou de l'univers onirique. Sous des aspects éclatés et confus pour ne pas dire brouillons, se cache une structure parfaitement maitrisée et homogène. La pièce ne se divise pas en partie spécifiques, chaque séquence semblant se télescoper au sein du maelström magnétique, mais on observera un rythme aux changements plus rapides et soutenus sur la fin, qui semble empiéter et revenir continuellement sur les phases et séquences précédentes. Comme si on pressait le bouton rewind  de façon aléatoire pendant les phases de fin de sommeil paradoxal et agité. Les dernières minutes se finissent tranquillement dans le silence du cliquetis d'un réveil mécanique : à défaut de se souvenir du rêve on aura fait un beau voyage assoupi qui n'aura pas pris une ride en plus de 30 ans.
Vivement recommandé à ceux qui pensent que la musique électroacoustique n'est nullement insondable, snob et revêche, mais un espace ouvert à d'autres espaces poétiques inouïs. 

L'Un.

OPERATING THEATRE : "Rapid Eye Movement" (UnitedDairies. 1992 en cd. réedition par le label SilverDoor en 2003 sous le nom de l'artiste)
Page Bandcamp de Roger DOYLE 


mercredi 24 septembre 2014

OOIOO : "Gamel"


Bon : au début du siècle déjà, Claude DEBUSSY kiffait (grave) sa race sur le gamelan, découvert pendant l’expo universelle de 1889, ce qui devait par la suite révolutionner pas mal d'idées reçues sur les conceptions musicales occidentales alors centrées sur l'harmonie et la tonalité. Depuis, nul doute que cette forme musicale rituelle et entêtante venue d’une Indonésie encore mystérieuse aura influencé nombre de musiciens occidentaux, du minimaliste Charlemagne Palestine et son strumming acharné, au technoïde Pantha du Prince qui ne cache pas son obsession pour le timbre des gongs et cloches en tout genre.
Le genre musical en question n’a pas non plus échappé à la frange la plus extrême d’une bande d’électro-freaks de l'archipel japonais, dont la propension à assimiler pour mieux régurgiter les influences les plus diverses sans pour autant perdre sa nipponité est proverbiale. Je veux dire par là que l’underground « ultra » japonais règne sans partage lorsqu’il s’agit de se réapproprier les codes et les genres, nous délivrant de la sorte une vision pour le moins idiosyncrasique empreinte d’une fraîcheur et d’une naïveté désarmantes. Et la percussionniste Yoshimi P-WE, transfuge des mythiques (devenus mystiques) frapadingues BOREDOMS ne dérogera en rien à la tradition en faisant du gamelan le fil conducteur souvent ténu et retranché dans ses extrêmes) des élucubrations tordues ce nouvel opus de OOIOO (on prononce avec plus ou moins de bonheur « ooh ooh eye oh oh », tout comme Sunn O))) se dit « sun », et !!! se prononce tchiktchiktchik, ça va sans dire). Sans connaître entièrement leur discographie (déjà 6 ou 7 albums à leur actif), il semble que la mise en avant (ou au centre) des métallophones aux rythmiques et harmoniques à la fois complexes et linéaires ait considérablement arrondit les angles (extasiés) de leur musique, offrant de la sorte l'homogénéité salvatrice. Bon : on ne verse pas pour autant dans la facilité, les compositions sinueuses du groupe continuant de se télescoper à une vitesse ahurissante, que seuls les carillonnements métalliques parviennent encore à relier. Les références sont obsessionnelles, d'un space-rock-prog no wave perché aux japonoiseries azimutées se projetant dans une africanité fantasmée : beau travelling horizontal tout en syncope au cœur des musiques rituelles d'un monde imaginaire, appuyé par un remarquable travail vocal incantatoire, écho appuyé aux lointains MAGMA. Au bout du compte, du gamelan on n'en retiendra que sa colonne vertébrale. Là où on pense micro-tonalité et transe hypnotique appliquée, OOIOO nous convient avec ce grand sourire désarmant pour une grand' messe psycho-progressive dézinguée et faussement naïve.
La fin d'année commence pas si mal...

l'Un

OOIOO "Gamel" (ThrillJockey. 2014)



mardi 15 juillet 2014

BLACK FLAG : "Get in the van" de Henry Rollins et la bio "Spray paint the walls" par Stevie Chick


Henry Rollins est une bête de scène tatouée. Un punk rock kid lambda devenu  icône à son corps défendant. Henry Rollins ne sait pas écrire : il écrit et crache ses tripes le plus lucidement du monde, de la même façon qu'il arracherait les pattes à un lapin tout en vous fixant froidement. Henry Rollins aime trop dire « je », même s'il ne s'apprécie guère.
Henry Rollins n'écrit pas : il sue, saigne et transpire.
Sous la forme d''un journal de bord édité des années plus tard, « Get In The Van » relate de ses années obscures passées au sein du légendaire et toujours aussi peu reconnu combo hc/punk californien Black Flag, de 1981 à 1986. Soudainement exposé à trop violence, à un rythme intensif de tournées à rallonge, inconfortables et éreintantes, l'expérience intime de Rollins vire à un cauchemar sans fond parallèlement à une popularité grandissante. On flirte non sans complaisance avec la dépression, l'aliénation, la haine de soi et du monde environnant perçu comme hostile.
Rollins se la joue Rollins.

Mais au-delà de cette rage aveugle d'un narcissisme opaque, l’auteur nous livre aussi un témoignage brut et cru vécu de l'intérieur de ce que pouvait être la vie d'un petit groupe de punk rock aux débuts quasi mythiques de ce qu'on appellera plus tard le mouvement alternatif ou indépendant. Les rapports souvent conflictuels avec le public (Black Flag ayant toujours traîné derrière lui cette sale et ambiguë réputation de violence), entre les musiciens, le manque chronique d'argent, la faim, les flics bornés et omniprésents, et la plupart du temps à tuer à bord d'un van à écumer l'asphalte (en écoutant ZZ Top, MC5, Black Sabbath, Neil Young ou du free jazz au grand désespoir de leurs fans monomaniaques et limités du bulbe).
Le tout étant documenté de  photos rares, iconographie d'une petite histoire parallèle, même si on peut décidément reprocher à l'auteur de tirer la couverture de ce média vers lui.
Aussi, les puristes pourront toujours regretter que ce soit Rollins qui tienne un journal, amputant de ce fait les 3-4 années antérieures à l'arrivée de ce dernier, jugées par beaucoup (et Rollins lui-même...) comme étant les plus flamboyantes et hautes en couleurs (noires). 


Et c’est là que « Spray paint the walls ; l’histoire de Black Flag » de Stevie Chick, loin de l’exercice de style hanté du bouquin précédent, vient lever le voile sur l’histoire du groupe. Depuis des années je l’attendais sans y croire, cette bio méritée des pionniers acharnés d’une musique libre, rageuse et jusqu’au-boutiste, modèles d’intégrité sans vraiment l’être : un groupe qui aura vu passer 4 chanteurs, 2 guitaristes, 4 batteurs et 3 bassistes, au gré des modes et des emmerdes. Un groupe parmi les premiers « indépendants », avec les Dead Kennedys, à établir un véritable réseau de tournées sur le continent nord-américain jusque-là inexistant, sur un mode DIY (do it yourself), éditant leurs disques et ceux des potes sur leur propre label , celui_ci (SST) devenant une des références incontournables de l’époque, pour ne pas dire un des meilleurs labels indés des années 80’s (on parle là des Bad Brains, Sonic Youth, Hüsker Dü, Meat Puppets, Dinosaur Jr et autres Minutemen…).
Le livre n’apprendra rien sur la trame de l’histoire  du groupe en elle-même, celle-ci déjà abondamment documentée ça et là sur le net. Mais la multiplication des points de vue (du membre du groupe au pote, journaliste ou promoteur local…) aidera à comprendre les dynamiques intimes de l’aventure tout en éclairant les faits sous des angles extérieurs des plus différents. Au bout du compte on se rend compte que Black Flag est le projet attardé d’un geek avant l’heure (Greg Ginn, guitare) qui en rencontre d’autres (Chuck Dukowski – basse, Keith Morris – chant), issus du même quartier d’une banlieue prolo de L.A, des gars vaguement influencés par la vague punk (on peut faire du rock sans technique et crier ses tripes), qui resteraient finalement toujours en dehors de cette mode éphémère de poseurs incapables d’aligner plus de trois notes ente deux cuites : même dans leurs débuts, les membres de Black Flag passaient des heures dans leur squat, à répéter jusqu'à l'épuisement leur set-list alors limitée à 5 ou 6 morceaux. Jusqu’à une certaine idée de la perfection, aussi bruyante et viscérale fut-elle. Une discipline de fer qui aurait à coup sûr la peau de certains des musiciens, contribuant sans nul doute à étioler l’unité du groupe quand bien même eut elle existé à un moment donné.
Aussi, à l’heure où internet n’existait pas, les modes restant circonscrites, vaguement relayées par d’obscurs fanzines photocopiés qui circulaient au rythme du courrier, des cassettes échangées ou du bouche à oreille, Black Flag avait décidé de répandre la bonne parole là où on ne les attendait pas, écumant les bars et salles des fêtes des villes les plus reculées du pays. Avec un, puis deux vans, une sono embarquée, une avalanche de décibels et des centaines de concerts au compteur.
Projet devenu monstrueux à force de tournées acharnées où les égos s’entredéchiraient dans le silence et les non-dits, incompris de leur public dans ses revirements de style abrupts, c’est peut-être la mégalomanie de son fondateur qui aura eu raison de l’hydre, Ginn sabordant le projet en plein vol non sans avoir auparavant saqué sans raisons avouées son bassiste originel (Chuck Dukowski), un de ses meilleurs batteurs (Bill Stevenson), puis la bassiste Kira.
Non content de se satisfaire du statut envié de groupe mythique indépassable, Black Flag a récemment défrayé la chronique du rock underground, l’autisme forcené de Greg Ginn le poussant à poursuivre en justice une bonne partie des anciens membres du groupe, certains d’entre eux effectuant une vague de concerts revival plutôt sympathiques sous le nom de FLAG, pendant que Ginn réutilisait le nom de (real) BLACK FLAG pour distiller ses solos fleuves devenus laborieux, le reste des musiciens/éxécutants  cantonnés au rôle de faire-valoir. Loin très loin d'une hypothétique éthique punk : les rockers vieillissent souvent très mal... alors qu'un simple remastering des bandes originales de la discographie existante leur aurait rendu justice. De tout ça, ne restent peut-être que ces 4 barres asymétriques qu’on taguait alors rageusement sur les murs sans conscience aucune que s’inscrivaient là, comme gravés dans le marbre, les canons d’une certaine idée de la musique rock des 2 ou 3 décennies à venir ; rien de moins.

« I’ve got to run »…


L'Un.

Henry ROLLINS : "Get in the van" ( 21361. 2005) - non traduit en français
Stevie CHICK ; "Spray paint the walls, the story of Black Flag" (CamionBlanc. 2013)

THE "Flag" avec le chanteur Ron "Chavo" Reyes, circa' 80



avec  Dez Cadena ou Henry Rollins au chant.



live 84' in UK, line up Ginn-Kira-Stevenson-Rollins.