mardi 24 septembre 2013

Chris ABRAHAMS & Alessandro BOSETTI : "we who had left"

L'erreur initiale aura été de vouloir obstinément cantonner le travail de Chris ABRAHAMS à sa collaboration au sein The NECKS, l'album solo précédemment chroniqué dans ces pages ressemblant alors à une petite aventure nocturne du pianiste dans un champ le plus éloigné possible des reptations hypnotiques de son post-jazz trio. En fait, albums solo et collaborations sont multiples, comme autant de facettes d'une œuvre kaléidoscopique qui n'a de cesse d'explorer les limites territoriales de son instrument, quitte à le confronter à quelques mises en abîmes au passage... Cette rencontre avec  Alessandro Bosetti, multi-artiste basé à Berlin,  est pour le moins déroutante. Superposition ou mise en parallèle d'univers très distincts, les interprètes ne tendent nullement une fusion entre l'instrument analogique et un skronk électronique, à la manière d'Alva Noto & Sakamoto. Là, les errances respectives se cherchent et furètent à la tangente sans jamais se rejoindre, un mode erratique en soliloques parallèles pour seule partition commune.
Etrangeté, comme les arpèges avortés du piano, bercés par une électro-acoustique fantomatique où se perd un chant atonal et décal é (« We Cannot Imagine »).
Luxuriance stérile d'un strumming pianistique confronté à la montée en puissance de bruissements et interférences sinusoidales (« When They Are Overheard »). 
Naufrage distant pour notes orphelines égarées et langage morse digital (« We see infancy »). Primitivisme organique de la note unique martelée sans cesse dans un tourbillon de cliquetis sous pression (« We Also Dress Today »).
Dérapage incontrôlé d'une (cyber?) reprise à côté de ses pompes d'un morceau crooner de Bill Evans («Waits for Debby ») .
A défaut de la symbiose attendue, c'est une fragile alchimie des extrêmes opposés qui opère lentement, avec cette assurance modeste d'artisans-défricheurs sûrs de leur bon droit en ce monde de certitudes canoniques éculées.
Et Miles Davis qui doit se retourner dans sa tombe...

L'Un

Chris ABRAHAMS & Alessandro BOSETTI : "we who had left" (Mikroton. 2012)


jeudi 19 septembre 2013

ELVIS COSTELLO & THE ROOTS: "Wise up Ghost"

C'est une plongée dans le passé.Un bain de jouvance? Une chute abyssale vers des origines oubliées? Avec ce nouveau disque, Costello, Elvis deuxieme du nom m'a embarqué et troublé en une seule écoute. Tout d'abord parce que c'est inattendu. On s'étonne toujours de retours pertinents, et lui fut capable du classe tout autant que du mièvre. "tous les jours j'écris le livre"...d'accord Elvis.
Pour autant le travail de sa voix ressemble étrangement à celle de Mark Ollis. Mais force est d'admirer sa limpidité malgré l'âge du bonhomme, un charme fou qui émane de l'aspect mélancolique des mélodies. c'est effectivement de la chanson nord-américaine d'aujourd'hui, c'est à dire franchement métissé. Son métier à tisser fait se croiser ses mélodies évidentes avec des rythmes urbains, hip hop pour la plupart, The Roots oblige. Les arrangements ont ce qu'il faut de grain d'antan pour que l'on croit au voyage. On est loin des fades hipsters. Les basses sont rondes, chaloupées parfois, provoquent un groove en léger décalage avec les lignes mélodiques pour en accentuer celui-ci. Merci les Roots!
La grande classe nord-américaine, les voix se doublent, se saturent de temps en temps, la rythmique est impeccable, et si besoin était l'apport sans retenue des cuivres et de l'orgue finira d'enflammer l'ultime récalcitrant! c'est un bon disque du matin, et ceux qui ont une décapotable (et donc du boulot), ben faut pas vous retenir...
Ce retour remarquable m'a conduit de mon côté à reprendre la plume ce matin pour contrer les difficultés que j'avais à faire mon come-back sur les Energumènes en ce frileux automne (à ne pas mettre une décapotable dehors hé hé). C'est toujours ça de pris.

L'Autre

Elvis Costello & the Roots: 2013 > http://www.elviscostello.com/micro/wise-up-ghost/

mercredi 11 septembre 2013

DISAPPEARS : "Era"

On va pas trop s'attarder à en balancer des tartines sur un groupe dont le précédent opus a déjà été chroniqué dans ces pages ; mais il faut croire que le groupe fait partie favoris (comme Hawks...) et puis (surtout), merde, paresse oblige, même les bloggeurs aussi cryptiques fussent ils ont eux aussi besoin de repos. Pour l'immersive entrée en matière donc, vous serez sympa de (re)lire la chronique de leur brillant « Pre-Language ». Merci.
Pour la suite, le décor est planté d'emblée : toujours, la guitare noyée dans le grain d'une reverb' caverneuse sur une rythmique monolithiquement motorique (<<?!), les imprécations acides de la voix nauséeuse de Brian Case au rendez-vous. Toujours, ce sentiment d'un retour vers le futur underground de nos chères années 80's les plus sombres dont on n'arrête pas en ces temps désenchantés de revisiter le cadavre encore froid et cynique. Toujours, cette sensation glissante de se faire happer dans un trip salement médicamenteux par un rock blafard sous néons grésillants. Sauf que là, on fait exit de tout vernis « pop », histoire de se concentrer sur l'essence même de leur musique. Les dynamiques qui parcourent 'Era » sont plus sourdes, la tension perturbée. Le malaise s'installe d'emblée avec un « Girl » bruitiste et saturé mettant à mal ceux qui auraient eu la mauvaise idée de s'accrocher aux bases confortables et déjà acquises de « Pre-Language ». Un titre brouillon en forme de barrière qui invite les seuls audacieux à poursuivre la plongée en terrain obsessionnel et comateux. Si les morceaux suivants se détendent au gré de rythmiques minimalistes et soutenues, l'atmosphère reste sourde et menaçante à l'image d'un « Ultra » oscillant entre post punk et industriel. Seul « Elite Typical » distille un rassurant groove linéaire aux échos distants, le « New House » clôturant l'album semble sortir des lost tapes d'une jam session d'un Sonic Youth au ralenti. A défaut de mieux, Disappears préfèrent se cantonner dans cette quadrature de cercle vicieux impossible à boucler, mais on le sait tous : in girum imus nocte et consumimur igni.
C'est l'époque qui veut ça.


L'Un.

DISAPPEARS : "Era" (Kranky. 2013)