lundi 27 mai 2013

ENDLESS BOOGIE : "Long Island"

Bon, les éloges à leur sujet sur la toile et dans la presse pullulent comme la gale sur le dos d'un chien, et avec l'éloge de la vitesse qui prévaut avec ce putain de net en veille permanente, l'impression d'être déjà un foutu has-been 2.0. Il est grand temps à mon tour de m'ébrouer un peu dans la fosse à purin et de glavioter en chœur avec mes plumitifs congénères, histoire de filer du grain à moudre. Une riposte graduée bien sentie, du fait qu'on a toujours du temps pour parler d'un truc aussi anachronique que ce groupe dont les compositions et toutes références musicales semblent obstinément se bloquer sur le mitan des 70's. Adepte laborieux et militant d'un « journalisme » total, il aura fallu plus de cinq heures non stop en mode replay, abruti dans l'habitacle d'une robuste allemande, noyé par la suite de quelques verres d'un bordeaux désespérément tannique, pour que le rai de lumière saturée pointe enfin le bout de son museau, et de s'y coller, enfin, bite sous le bras, le clavier sous des doigts calleux, à 23h07 exactement. Privilège d'un recul éditorial mérité, donc, la première, seule et affligeante question restera de savoir pourquoi un objet obstinément ancré dans un passé il y a pas si longtemps ringardisé secoue à ce point les phéromones de TOUT le monde (même les Inrocks ont flairé le bon coup putassier, c'est dire...) ? Il y a encore pas si longtemps, afficher une passion coupable pour Canned Heat, AC/DC et autres Status Quo vous excluait d'emblée du poste envié de passe-disque dans les soirées anniversaire, réduisant à une peau de chagrin tout espoir rationnel d'une vie sociale épanouie. Les esprits chagrins pourront arguer que dans une époque où tout est en panne, à commencer les escalators des grandes surfaces et la créativité musicale qui tourne en rond, il n'y aura guère qu'une bonne vieille resucée revivaliste pour vous resserrer les boulons, tandis que d'autres, tout aussi puristes (véridique : les doigts ont fourché et j'ai tapé « prurit »), affirmeront d'un plein sourire béat qu'en fin de compte ce genre de musique n'est jamais réellement mort et passe les époques en se souciant comme d'une guigne du vent des modes, fort du statut inamovible que son autorité originelle lui confère. Mouais : quelque chose comme « toute la musique que j'aime, elle vient de là, elle vient du blues », pour paraphraser un de nos derniers grands penseurs français encore en vie... Pensez bien qu'entre ces deux cruciales opinions mon cœur balance... le boogie, donc. Avec un nom qui ne trahit pas ses intentions crasseuses, on sait à peu près ce qu'on va se caler dans les esgourdes, en déchirant fébrilement le blister : de la musique d'un genre velu, sans retenue certes, mais avec une certaine mesure à deux ou trois temps, le pied gauche qui bat la mesure avec la tête, les cheveux gras collés au blouson. Ça fait une bonne trentaine d'années que ce groupe de vieux briscards officie dans les rades les plus éculés de Brooklyn, n'ayant pas attendu le succès tardif et inopiné pour prêcher la bonne parole à qui peut encore l'entendre, entre deux bières molles. La recette de leur musique est aussi simple et digeste qu'un porridge scandinave arrosé d'aquavit : une rythmique au minimalisme métronomique, maîtrisant la petite montée en puissance quand il le faut, un mur d'amplis qui régurgite par flots grumeleux toute la science saccadée du riff gras, et cette impayable beuglante râpeuse qu'un Tom Waits n'aurait pas nécessairement renié. A chaque début de morceau donc, trituré en une tournante infinie, passé à la moulinette wah wah, un seul et unique riff donne le ton pour des jams endiablés d'une bonne dizaine de minutes. Et le ton en question se teinte d'un AC/DC évident avec Occult Banker, d'early Motorhead (General Admission), les Stones se voient radicalement prolétarisés avec Taking out the trash, alors que la longue accalmie d'On Cryology (euh...à moins que ce ne soit sur The Artimus Ward) invoquer le Move Right in d'un Velvet fortement couillu pour l'occasion (j'ai bien cherché quelque part à voir planer l'esprit de l'Iguane stoogienne en vain, mais gageons qu'il doit bien quelque part faire partie de ce panier garni)... Pas vraiment pour dénoncer quelconque plagiat, à sortir des références paresseuses (soyez encore heureux ce vieux facho de Ted Nugent n'ai pas eu droit de citer...), mais plus pour souligner l'œcuménisme sans faille de cette bruyante beuverie ou tout le monde est le bienvenu. Disque de missionnaires à la veste en jean cousue de patches, persuadés d'entretenir la flamme plutôt que de se prendre pour les gardiens du temple ; let there be rock... Pour finir de répondre à la question qui nous taraude, et tâcher de comprendre pourquoi même ces putains d'Inrocks se sont emparés du truc qui en fin de compte dépasse de loin la cible initiale des rockers nostalgiques, il faut chercher non dans le grain rugueux des guitares ou dans ces filiations historiques qu'une bonne partie de l'auditoire est en droit d'ignorer, mais plutôt dans la structure même des morceaux et l'énergie dégagée : à faire tournoyer des riffs hypnotiques et les étendre jusqu'à l’écœurement, se tisse lentement un long bourdonnement entêtant, qui s'insinue et s'installe. Jamais loin de la transe en fin de compte, si proche de cette drone music qui met nos avisés contemporains dans tous leurs états (toujours dans le registre des références, on peut penser à Earth tapant le bœuf décomplexé...). Musique rituelle qui n'a jamais cessé d'être et traverse les époques se foutant pas mal des styles dont elle épousera la forme. Et là est peut-être la clé ; même si le rituel d'initiation dans ce cas précis se limite à tituber jusqu'au au comptoir d'un bar. Personnellement je n'avais ressenti ce genre d'excitation depuis le jour où j'avais découvert le Ass Pocket of Whisky du vieux R.L Burnside (flanqué pour l'occasion des Blues Explosion) dans l'échoppe d'un disquaire batave atrabilaire (comme tout bon disquaire).
Un disque qui a du slip, à défaut du maillot et de l'épilation qui va de pair pour débuter l'été qui tarde.

L'Un.

ENDLESS BOOGIE : « Long Island » (NoQuarter. 2013)
un peu de son et ici....



mercredi 15 mai 2013

Syndromes vs Ferran Fages


Syndromes : Temporary Perspectives
L’arrivée du son tarde, imperceptible, puis nous parvient de façon frontale, sèche. Peu de place sur l’échelle des fréquences, mais une présence acide, forte, imparable. L’ensemble va reste monotonal, blème, livide. Un printemps post trou dans la couche d’ozone. Le froid est bien là.
Peu d’éléments sur cet artiste de Thessalonique, sinon que les ondes le passionnent, qu’il utilise aussi quelques instruments mais que les apparitions sont déguisées, et que les combinaisons sont suggestives. Un monde désolé, où l’absence est la chose la plus présente.
L’utilisation des fieldrecordings réchauffent quelques peu l’ensemble, même les réverbérations sur des pas, le souffle du vent, concordent encore avec un abandon dans l’espace.
4 morceaux, deux blocs narratifs de 15-20 minutes qui entrainent une immersion dans son univers, et deux séquences de 5 minutes forment ce Temporary qui nous parait être une suspension indéfinie.


L’autre proposition sonore, For Pau Torres du guitariste Ferran Fages, est dans la continuité ; il se différencie tout de même par les harmoniques utilisées, prenant distances de façon parcimonieuse avec le monotonal précédemment sité. Rares instants remarquables pourtant qui permettent à la guitare de jouer en tant que telle, égrénant des notes claires, prenant l’espace et le temps à témoins, pour s’imiscer avec certitudes dans les interstices. La longue litanie se transforme, ondule dans nos têtes, le chant méditatif devient mélancolie.
Un beau disque du catalan à écouter sereinement, des images plein la tête, les pieds en éventail…


L’Autre

lundi 6 mai 2013

CHELSEA LIGHT MOVING

Amis quadras, où sont donc passées nos années soniques en diables, de celles qui nous scotchaient l'oreille contre les enceintes 2x2 voies de la chaine hifi des parents (oui, ça sent le vécu...) ? Où sont passés nos acouphènes, les mines boutonneuses réjouies à la sortie d'un concert avec un vinyl, la bite et le poster sous le bras ? Une époque révolue, dans un larsen sans fin et silencieux, les vieux de Sonic Youth ayant (enfin ?) jeté l'éponge pour des raisons qui n'appartiennent qu'à deux d'entre eux. Depuis, sans trop de nouvelles de miss Gordon, on aura appris  que Steve Shelley a discrètement rejoint la lumière du petit dernier «Pre-Language » des Disappears, histoire de sortir du tunnel, Lee Ranaldo d'accoucher du disque de la consécration de quinquagénaire, celui d'un songwriter et mélodiste trop longtemps effacé derrière une avant-garde radicale. Thurston Moore, lui n'en était certes pas à ses premières saillies en solo, et le déconcertant « Demolished Thoughts », avec son folk électrique au violoncelle pleureur en forme de retour introspectif pouvait laisser croire à une pré-retraite honorable ; enfin pépère quoi. Il suffirait par la suite d'effectuer quelques prestations en guest de choix au côtés des formations bien senties du moment... histoire de sceller la légende new-yorkaise du grand blond (cool absolu) avec ses baskets noires dans l'asphalte de la Grosse Pomme désormais aseptisée. Mais il faut croire que le gamin à la mèche et aux cent guitares folles avait encore une bonne dose de bruit à refourguer dans sa besace, comme une poignée de poil à gratter qui traîne dans les poches trouées depuis trop longtemps. Chelsea Light Moving derrière un anonymat de façade, transpire l'énième projet solo du grand Timonier de l'activisme et des affaires soniques, les 3 autres musiciens restant cantonnés dans cette zone d'ombre qui sied aux hommes de main et exécutants de talent. Au premier accord du calme « Heavenmetal », on reconnaît Thurston Moore ; typique. Avec "Alighted", 3° morceau (de bravoure) transparait la patte Sonic Youth : early Sonics. Fascinant et troublant. Le malaise s'installe avec un certain plaisir convenu : Chelsea Light Moving résonne comme un sas de décompression, exutoire des tensions et frustrations qu'on sentait s'accumuler au fur et à mesure des tout derniers Sonic Youth somme toute un peu poussifs (euphémisme de « chiant »). Un grand bond en arrière, jouissif et salutaire d'un type qui contemple posément un passé forcément auréolé de nostalgie. L'impression à l'écoute de traquer la discographie de Sonic Youth (entre Confusion Is Sex – Sister, Experimental jet-set trash & no stars.... par exemple) avec un filtre bypass occultant les 3 autres fortes têtes pensantes du groupe, et un remastering sage et lissé : schizophrénique. Passé les premiers émois, les oreilles en forme de madeleine de Proust encore frétillantes, on se surprend à se perdre en conjectures sur cette étrange dichotomie d'un Sonic Youth lifté, minimaliste car amputé de ¾ de ses membres, et débarrassé de ses oripeaux arty-pop : « ah tiens alors ce genre d'accord c'était alors du Thurston à l'époque ». « ah et là, ce son de guitare trafiquée »... Sonic light, clean sonic. C'est propret comme le rock actuel nous l'assène. Noise contrôlée. Les puristes sauront apprécier « Communist Eyes », reprise des cryptiques Germs, combo punk west-coast (plus cool tu meurs, hipster...), et hommage appuyé d'un adolescent attardé et amoureux transi du hc/punk qui ne s'en est jamais caché. Sans jamais réellement gâcher notre bon plaisir régressif, on pourra difficilement  au bout du compte, savoir si on tient entre nos mains l'album rock perdu de Sonic Youth, porté crânement par le dernier de ses Mohicans, ou une thérapie en forme de catharsis, histoire de histoire de régler ses dernier comptes, de refermer les plaies sur  une période, une aventure hors du commun, un mythe. On a pas tous les jours les 20 ans d'une vie sonique.

L'Un.

CHELSEA LIGHT MOVING: "s/t" (Matador. 2013).



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