vendredi 25 novembre 2011

ORCHESTRA OF SPHERES: Nonagonic Now


Une fois n’est pas coutume, allons aux antipodes. C’est vrai que les groupes n’abondent pas jusqu’à nos contrées, d’aucun esprits chagrin diront que ce n’est pas plus mal -on verra ça en mai messieurs-dames. En attendant, je me suis replongé dans l’écoute de cet album en revoyant la pochette. Et là « tilt » ! C’est un son qui m’a intéressé dès la première écoute il y a un an à sa sortie. Après quelques réécoutes, et quelques danses trépidantes, ses rythmes endiablés m’ont revisités ! Attention danger !!!
Ces néo zélandais sont loin de toute tradition, difficiles à définir, mais peu importe, ils ont choisi de nous le montrer avec leurs costumes dépareillés et bigarrés. Quelques accessoires de mode pour compléter et nous nous trouvons en face de 4 énergumènes tout droits sortis de la fin des années 60’, avec un sourire béa en travers de leurs visages. Psychédélique certainement, mais les influences sont multiples, et avant tout ethniques : la première comparaison qui m’était venu en tête est avec le son de Konono n°1, groupe de République Démocratique du Congo, sur Crammed records. Un son particulier, qui vient de la rue tant il est brut, rocailleux et métallique. Autre point commun, ce bidouillage d’instruments, du cousu main, qui assimile cette musique populaire à de l’artisanat, donc au savoir-faire.
Composé d’une batterie d’éléments minimaux, de ce qui ressemble à une guitare, ou un oud carré, ou une guitare montée à partir d’une boite, d’un clavier dont les sons ronds sont tout de même un peu granuleux sur les bords, et une percussion en bois qui rappelle un ballafon, c’est ainsi que l’Orchestre des Sphères nous trimballe hors de notre chambrée…
Ça démarre par un percussif Hypercube, où les voix répondent en cœur à des déroulés de notes, ça donne le ton, écoutez déjà ça, vous risquez d’en oublier de passer à un autre disque, à une autre atmosphère. Car c’est une musique à danser, collective et joyeuse, enfantine et puissante.
L’album déroule ensuite leurs compositions, poétiques parfois, psychés barrées comme « Eternal C of Darkness », sautant sans vergogne d’une ambiance à l’autre, tel un jeu. Même si les instruments sonnent parfois comme de simples jouets, il y a là l’énergie folle des Ex, et autres Dog Faced Herman. Je me laisse sûrement influencer par le chant fusionnel féminin et masculin, et les cordes bloquées ici et là comme dans « Isness » , et c’est probablement de ce côté-là que l’influence occidentale est à prendre. Ajouter juste un zest de folie et on y est…vous y êtes ?
La même joie est communicative en live, mêlant peu de mystique pour se concentrer sur le groove, quelques vidéos traînent sur le net pour en avoir une idée et se faire une représentation claire de leur sens de l’humour, élément essentiel pour savoir se remettre en question en permanence dans ce que l’on créé. La belle dégringolade de "Toadstone" nous en met une bonne couche!
Le nonagone est une forme compliquée, peu usitée, mais finalement très simple quand on a trouvé le bon angle pour la réaliser…

L'Autre


Nonagonic Now, Get it from Fire records

vendredi 18 novembre 2011

The DRIFT : "Blue Hour". Post-rock de l'au delà


La formule des très discrets The DRIFT fonctionnait plutôt bien en proposant ce qu'il est convenu d'appeler un honnête post-rock planant aux vagues relents jazzeux du simple fait de la présence d'une trompette qui donnait le ton en se posant au dessus de la section rythmique « classique » (basse – batterie - guitares/clavier). Fonctionnait discrètement bien jusqu'à la la disparition brutale du trompettiste, des suites de ce qu'il est convenu d'appeler pudiquement « une longue maladie ».
Comment alors continuer lorsque le carré du quartette a perdu un côté ? Peut-être sans fanfare ni trompette, et sans mauvais jeu de mots.
Là où d'autres auraient arrêté, ou, pire, remplacé le trompettiste, le trio de facto, continue sous cette formule, hommage idoine et (toujours) discret.
On fait table rase d'une formule éprouvée et impossible à re-convoquer donc pour proposer un catharsique Blue Hour.
Le trio recentre sa musique sur des structures rythmiques simples et hypnotiques. « Dark Passage » en ouverture en est la parfaite illustration. Au contraire, du précédent album, la dynamique du duo basse - batterie porte et entraine les touches colorées de la guitare, qui ne se substitue en rien à l'instrument défunt, installant à la place un enchevêtrement de nappes oscillant aux confins de l'air et de l'eau.
On pourrait arguer d'une très improbable ressemblance, avec JOY DIVISION ou le « 17 seconds » des CURE. Pour une certaine ambiance ; nullement l'influence.
Mais le ton donné n'est en rien sépulcral ou appesanti, loin d'un De Profundis électrifié.
On sent plutôt une volonté affirmée de nous emmener quelque part, entre tension et retenue ; vers un point lumineux.
Rapide examen des titres pour élément de réponse : tous évoquent non le décès et la tristesse qu'on y associe généralement, mais la notion de passage (« Dark Passage », bien sûr..., « Horizon ») de la vie vers ce qu'il y a ou non après la mort (« Continuum »). Des titres comme « Bardo 1 » et 2 font clairement référence au Livre des Morts Tibétains et de ce voyage post-mortem (qui conduit à la réincarnation mais là, c'est une autre histoire). Energies canalisées errant dans un tunnel sonore avec, au bout cet évident « Luminous Friend », suivi d'un « Hello From Everywhere », à la fois syncopé et apaisé.
Le groupe semble ainsi avoir suivi un chemin parallèle, à la tangente d'un au delà, pour mieux accompagner et veiller son mort, tout en trouvant cette voie qui reste à tracer, un monde infini de promesses en devenir devant soi (… les échos trippés à la Laddio Bolocko de « Fountain »...).
L'Heure Bleue chez les photographes, c'est cet instant ténu entre chien et loup où flotte une belle lumière indécise.

L'Un


The Drift : "Blue Hour" (Temporary Residence. 2011).
 The Drift- Luminous Friend by denouementspage  

vendredi 11 novembre 2011

VENETIAN SNARES : de Fuck Canada / Fuck America à Cubist Reggae


Tout ça démarre ce matin par quelques ablutions : pas de ma part, non, mais issues des enceintes en sourdine… c’est férié… ablutions sur bruits de foule en attente d’un bon live, salle de concert qu’on imagine aisément enfumée ; et oui on est en 1999. On savait ne pas interdire encore un peu à cette époque !
Ce petit instantané électroacoustique nous met en situation : nous allons écouter quelque chose de plus instinctif, vivant, que les montage habituels de Venetian Snares, et de tous bidouilleurs en home studio…quelques hurlements et cassures plus tard le ton est donné.
On est parti sur une version hurlante et saturée de la voix, accompagnant les sursauts pour ne pas dire les bégaiements de la grosse caisse. Et oui on est dans une techno breakcore, agrémentée quelques samples, extraits pour la plupart de discours et de bandes sons. Et c’était il y a dix ans : beaucoup d’albums sont passés par là. On en a beaucoup entendu et tout a un peu été dit dans cette famille musicale. Si j’en reviens là une décennie plus tard, c’est pour remarquer que tout est là, déjà. Au début du mouvement, il a martyrisé les rythmes les plus spartiates pour les rendre les plus bancals possibles. Il procède à une déstabilisation de l’auditeur, déconstruit de façon méthodique, très ordonnée finalement. C’est l’histoire de l’électronique, et l’impasse qui pointe à l’horizon qui semble motiver ce qui est une remise en question.
Plus qu’un abandon des machines, c’est une utilisation renouvelée de l’outil pour changer la pratique de création. Le musicien, mr tout le monde depuis quelques années alors, il va falloir qu’il réfléchisse s’il ne veut pas faire comme tout le monde. Les outils étant nés d’un formatage, la musique née elle-même formatée. Ils sont quelques uns à s’en rendre compte et à réagir. Aphex Twin est l’un de ceux là. L’I.D.M. au cœur d’une reflexion et d’un défoulement…
On remarque beaucoup de similarités dans leurs travaux, comme cet étonnant rapprochement de fond et de forme dans la réalisation de Windowlicker d’A.T. et Look sur Songs about Cats de V.S. : le spectogramme des morceaux montrent une représentation graphique visuelle concrète.

Pour en terminer avec cet album parmi les premiers d’AaronFunk, nom du mr Venetian, il propose les 8 premiers morceaux, les 8 suivants de Stuntrock sont conventionnels, avec le recul bien sûr : les batteries sont des échantillons entendus maintes et maintes fois, et la production plus brouillonne maîtrise moyennement la distorsion et le piège d’une électronique peu évolutive…même si Last Long Blew et quelques autres échappent à mon ire.

Tout comme le huitième morceau est construit sur une rythmique bancale et des samples de voix tremblotantes et de pets simulés, l’humour est au cœur de son travail : les vidéos, pour la plupart du complet bricolage, sont en général bien hilarantes. 

Je passe sur les superbes albums Chocolate Wheelchair (2003), les envolées de violons et violoncelles malmenées de Rossz Csillag Alatt Született (2005), et partant du principe que chaque album parvient à fournir une ou deux pépites, on trouve sur le net et dans les magazines énormément d’avis tranchés sur l’intérêt du travail du garçon. Je n’en remet pas une couche… mais arrive au dernier 4 titres sorti en vinyl cet été 2011 : Cubist Reggae.


Comme son nom l’indique, les morceaux sont emprunts de l’âme roots de la jamaïque dont Aaron aime la culture. Son travail réactualise cette âme pour la faire vibrer par les effets sonores que sont la reverb et le delay. On est loin des versions dubbées à l’anglaise : le savoir-faire du Canadien reste présent, c’est son côté « cubiste », manipulant les boutons pour retranscrire des versions live d’instrumentaux calmes sur la face A (et oui c’est un vynil…). Il maîtrise de belles basses qui vont s’avèrer de plus en plus ronflantes sur le troisième morceau « where you stopped the heaviest ». Il creuse le temps, recherche le silence en laissant traîner les effets, on le suit les yeux fermés. Les samples d’instruments à cordes répondent à la basse, c’est un des rares moments de calme dans son œuvre prolifique.
L’ultime morceau est à nouveau du dub où quelques uns de ses échantillons de sons de prédilection sont à nouveau malmenés dans une déconstruction temporelle. Le son est d’une propreté hallucinante, alors que leurs interventions sont rudes. De ce contraste, renaîssent des filets de voix et des batteries superposées jouées avec les balancements gauche-droite nous désorientant… pas mal pour du dub, nous sommes dans des superpositions que l’on pourrait imager comme des superpositions de deux films, recréant des défilements de scènes provoquant des hallucinations…

Le seul problème est que la somme des 4 morceaux dépasse à peine 16 minutes ; c’est donc frustré que j’attend une prochaine sortie discographique ; et me demande aussi qu’est devenu cette collaboration effectuée en 2009 avec John Frusciante…mystère !!!...

L'Autre

Son dernier album en écoute : my so-called life http://www.planet.mu/discography/TIMESIG001

Remix d’un morceau de black sabbath : http://www.youtube.com/watch?v=dbjy63xqlwI&feature=related

Courte interview (débile) et extrait live : http://www.youtube.com/watch?v=uJMj8UF7yYo

vendredi 4 novembre 2011

Asher Thal-Nil "Miniatures" et William Basinski "Melancholia"

Il en est de ceux  qui, avec cet entêtement consciencieux, flirtent dangereusement avec les limites inconnues d'une ascèse inutile, empruntant des chemins solitaires sur les bas-côtés des routes que personne d'autre qu'eux ne perçoit. Artisans mono-obsessionnels de la beauté inutile et vite oubliée, le geste pour le geste.
Disciples perdus dans le brouillard electro-statique  d'un Eno en auto-consumation lente (et contrôlée), nos deux évadés pourraient tout aussi  bien s'inscrire dans la lignée confuse mais solide de ceux qui se revendiquent d'Eric Satie voire de Maitre Cage.  C'est de ce qui se passe autour du piano qui nous
intéresse donc. 
Basinski a depuis longtemps fixé son choix et ses sons au moyen de dispositifs de bande electro-magnétiques mises en boucles, rejouées sur elle-même et diversement filtrées. On est rarement loin du drone. Chef d'oeuvre « accidentel », ses Disintegration Loops utilisent des bandes détériorées mise en boucle dont la mélancolie initiale du thème est renforcée par l'usure et le caractère  irréversible du processus d'altération physico-chimique des bandes magnétiques usées dont le revêtement chimique. Petite histoire dans l'Histoire, Basinski était en train de transférer ses vieilles bandes sur un support numérique le jour où deux avions se sont écrasés dans des gratte-ciel. Scotché à sa fenêtre, sa musique en train de défiler devenait bien malgré elle une sorte de requiem 9/11. Une petite musique de désintégration lourde de sens.
Melancholia utilise aussi le matériau de bandes magnétiques d'enregistrements de piano ( ou parfois de synthés) dont on ne connait l'auteur ou la provenance,  repassées et superposées à l'envi jusqu'à atteindre une sorte de disparition du motif sonore noyé en lui-même, entre contrepoints et échos assourdis. Ritournelles rattrapées par elles-même, qui semblent s'effacer dans l'instant dans une confusion qui ne manquera de générer ce sentiment de tristesse sans retour..
Ambiant-music réductionniste jamais loin de la disparition.

Si William Basinski se réclame ouvertement de l'héritage de Brian Eno (on pense immédiatement à son fameux Discreet Music), Asher Thal-Nir revendique pour influence directe, l'œuvre de Basinski (ainsi les travaux de Steve Roden) ; transmission inter-générationnelle. Sound artist discret de la côte Est, il gère parallèlement Sourdine, un micro-label qui publie le présent opus mais aussi les travaux d'autres musiciens comme le passionnant Christopher Mc Fall.
Là où Basinski  accumule et brouille les strates jusqu'à l'effacement comme un travail de sape par le temps, Asher lui, use et abuse d'un concept à la fois en apparence simpliste mais désarmant : parallèlement à des enregistrements en boucle d'un piano erratique, est comme juxtaposé  un bourdonnement continu de bruit blanc. Celui des ondes radios dans le vague ou d'une télé sans antenne. Souffle et crépitement indifférencié qui parasite la mélodie fragile derrière un beau mur de bruit sale et mouvant.
L'oreille en déroute effectue un va-et-vient incessant entre le bruit (« blanc ») et le piano.
Avons nous à faire à deux sources sonores distinctes simplement mixées ensemble par l'artiste ?
A moins que celui-ci ne se soit contenté de collecter de vieux enregistrements dont il aurait amplifié le grain du son.
L'anonymat des sources sonore et donc l'intention  d'Asher débouche sur ce vague flottement : est-ce la nostalgie d'entendre les sons fixés d'une époque révolue ou ce sentiment est il faussement suggéré par la simple juxtaposition des matériaux sonores ?
Qui  joue au piano ? Asher, un comparse enregistré, ou un fantôme du passé errant sur les ondes moyennes ?
L'équilibre est précaire et ravi(ve)t l'oreille interne.

Les deux musiciens interrogent et bousculent  délicatement les concepts de suggestion et de nostalgie par ce parti-pris  de l'altération ou du brouillage dans le traitement du son, et scellent de la sorte  les premières pierres d'un manifeste opaque de  rêveurs incompris qui cherchent surtout à poser les bonnes questions : celles qui restent sans réponses.
Pas si loin de Satie, donc ? La vraie question étant peut-être de savoir si lui-même aurait fait la même musique s'il avait vécu à notre époque.

L'Un

William BASINSKI : "Melancholia" (2062 label. 2005)
ASHER : "Miniatures" 2xcd (Sourdine. 2009)

liens :
- Asher Thal Nir :  
interview
extrait de Miniature

- William Basinski
extrait de Melancholia et Disintegration Loops