vendredi 26 août 2011

LADDIO BOLOCKO: In Real Time

Encore un de ces groupes météores qui sortent un ou deux disques sur des labels superbement obscurs et dont n'apprend l'existence qu'après avoir  méticuleusement traqué la trajectoire en pointillés d'un musicien après l'implosion en vol de son groupe précédent,  lui aussi abonné absent récurent des bacs des disquaires réguliers.

Pas si éloigné que ça de la démarche d'un entomologiste de combat.

Le transfuge en question c'est Blake Flemming, ex-batteur des Dazzling Killmen, parfait  groupe maudit des années 90's, dont l'arbre généalogique de ses membres mériterait  un article de synthèse tant les ramifications sont variées, alambiquées et surprenantes.

Flemming donc, et sa  frappe minimaliste et puissante,  quitte le Midwest, quelques certitudes vitales,  ses abattoirs et ses brasseries pour se retrouver plongé au cœur de la Grosse Pomme, armé de ses seules baguettes en rondins, et bien évidemment monte un groupe  : Laddio Bolocko. Produit d'une collision réfléchie entre 4 types qui ne se connaissaient pas mais savaient au moins tous qu'ils voulaient faire un truc.

Ouais : un truc cool. Ca ou jouer du blues...

La musique produite, hors catégories et sans cadre précis  ressemble  plutôt à une superposition de strates instrumentales de différentes périodes en pleine divagation  mutante.

Si la rythmique hypnotique et implacable renvoie directement au krautrock estampillé 70's, les dissonances guitaristiques rappellent un Greg Ginn (Black Flag) sous sédatif. Se greffent là-dessus une basse élastique et des nappes de saxophone aux lointains accents Ayler-esques dopé au drone noyé dans la brume.

Conglomérat d'influences ouvertes qui ne cherchent nullement à être gommées ou à  convoquer vainement un revivalisme  attendu,  on est aux prémices d'un post-rock qui se cherche et se définit en temps réel et sans autre dessein précis que l'exploration de nos expectatives inconscientes. Textures et structures sont manipulées et interrogées au fil des 5 (trop courts) morceaux. Si le vigoureux Beatrice the Coyote se pose en excellente introduction erratique, The Going Gong reste le morceau maitre de l'album, tout en puissants ricochets progressifs et ruptures en forme d'entonnoir, Walkill Creek Survival verse dans une sensualité apaisée rare, alors que  In search of Bolocko plane haut très haut comme un rêve de lendemains qui déchantent.

Loin d'être le disque ultime du groupe prometteur, In Real Time est le simple produit de musiciens déterminés qui nous proposent une œuvre entêtante aux accents complexes, un peu comme la jam session parfaite que n'importe quel groupe digne de ce nom se devrait de produire lors d'une séance d'échauffement avant une répète de routine, histoire de se délier les doigts engourdis.

Pas donné à tout le monde en somme. 

L'Un



 

samedi 6 août 2011

Au croisement d'Istanbul: 2eme partie


Dans un pays où l'idiome rock reste plutôt minoritaire, REPLIKAS fait figure de parrain à lui tout seul. Replikas C'EST le rock en Turquie. Trois ou quatre albums, mais il faut surtout retenir « Avaz » (produit pas un certain Martin Bisi, qui a collaboré avec Sonic Youth) et le plus abouti « Zerre ». La musique est dense, solidement charpentée et flirte souvent avec un rock teinté de noise et très urbain, les compositions soulignées par une fine électronique, la magie des textes chantés sans complexe dans la langue natale faisant le reste. Une des surprises les plus inattendues de l'année 2009.

Personnellement, je passe sur l'electro world propret d'ORIENT EXPRESSION, bien que leur collaboration avec la chanteuse anatolienne SAHABAT AKIRRAZ efface leur style emphatique au profit de la voix de la dame et de ses chansons populaires bien ancrées dans le terroir.
MERCAN DEDE, lui, n'a probablement pas besoin de ce documentaire pour asseoir sa popularité (et une singulière coupe de cheveux) en dehors des frontières. Mais là aussi, sa grand messe ambient mâtinée de tradition mystique, puisant dans les racines du mouvement soufi n'est guère intéressante. A moins qu'on transforme sa piaule en autel avec des rideaux mauves, de l'encens et du patchouli. Je regrette plutôt d'avoir raté une performance soufi (un peu par flemme, un peu par radininerie...). Au moins aurais-je rencontré au détour d'une ruelle, un maitre-artisan qui fabrique le ney, flute de roseau indispensable à la musique soufie, et instrument emblématique de la Turquie (avec le saz, le raki et le loukoum, cela s'entend...).
Ce qui est beaucoup plus intéressant, c'est de découvrir que la culture hip hop, embryonnaire dans le pays est étonnamment vivace et en apparence décomplexée. Le rappeur CEZA en est son parfait ambassadeur et la rapidité de son flow tient de la prouesse vocale. Et si en plus il a des choses à dire...
Les rues d'Istanbul sont peuplées de chats nonchalants, de hordes de sympathiques cleps et de ménestrels, seigneurs du pavé, que le documentaire n'oublie pas. La réalité est crue, la mégapole impitoyable et aveugle. Les espoirs des migrants s'écrasent souvent sur ce pavé à la frontière de ce monde en mutation. Chanteur de rue anonyme, moment éraillé de poésie urbaine et crépusculaire, un peu perchée. Ça commence là, la musique : dans la souffrance, la rue et la merde.

Clochard céleste par sa descendance Rom, SELIM SESLER lui, se ressource fréquemment dans les bars de la ville frontalière d'Edirne, où il semble de bon ton d'investir les bouges remplis de frères désabusés et de se saouler méticuleusement, pour partir dans d'interminables joutes instrumentales ; entre hommes, cela va de soi. Des Roms.
De la sueur, des larmes et toute l'âme du monde. John Mc Laughlin y laisserait sûrement des plumes et on y apprend une intéressante explication sur l'origine de la guitare dite « classique ». Son album solo est flamboyant ; quant à sa participation avec la chanteuse Brenda McCRIMMON citée plus haut, elle relève de l'archéologie musicale de la région.
Un autre clarinettiste monument dans son pays, parmi tant d'autres est MUSTAFA KANDIRALI. On touche là à l'âme populaire du pays (ou de la ville) quand il daigne s'enivrer.
Fatih Akin n'oublie pas de mentionner la communauté Kurde dans Crossing the Bridge en magnifiant la jeune AYNUR, enregistrée seule avec son luth (saz), la voix transportée par la réverb naturelle d'un ancien hammam. Et de repartir aux racines du blues : nostalgie, tragédie et souffrance.
Le documentaire se termine avec des gloires de la musiques populaires, comme ce NUR CEYLAN, qui daigne encore en vieux maître friqué, accorder une démonstration avec un de ses luths fétiches parmi sa collection. Et ça sonne étonnamment rock...
La performance de la célèbre chanteuse Sezen AKSU clôt le documentaire de façon plus convaincante, avec cet « Istanbul Hatirasi » (le titre original du documentaire) qui, des hauteurs d'un hôtel particulier, transpire toute la mélancolie de la ville, autrefois capitale d'un Empire déchu qui se relève à peine. On pense aux vendeurs de simit ou de pilaf à la criée, aux murs austères et sombres, la fumée des vapür (les ferries locaux) qui parcourent le Bosphore et qui remmènent leur flots de pendulaires amers vers les banlieues tentaculaires au sud D'Üskudar. Pas si loin des livres d'Ohran Pamuk.
Le film fini, on peut continuer la ballade en s'engouffrant dans les disquaires de Tünel. Les rayons du plus sympathique d'entre eux, LALE PLAK, dans trahissent la géographie et l'histoire perturbée de la ville carrefour : la musique est perse, arménienne, bulgare, elle se réclame du rembetika grec (popularisé au passage par les punks cosmopolites de KLETKA RED...) des cultures hébraïques, rom, parfois arabisante, une pointe de flamenco voire espagnol pour sceller le tout. Une plongée totale au cœur du vieux bassin méditerranéen, qui dénote un attachement toujours vivace à ces régions autrefois sous la domination Ottomane.
Je citerais TAKSIM TRIO, synthèse subtile d'un jazz discret et de tradition tourbillonnante électrifiée, ainsi que le « Wind » de Kayhan KAHLOR et Erdan ERZINCAN fusion parfaite de la musique de deux grands empires de jadis, qui peuvent ainsi vous transporter jusqu'à l'Inde des ragas, pas si lointaine...

Aujourd'hui, sur les murs de Beyöglu et Istiklal Caddesi sont placardés les affiches des tournées des stars internationales installées de l'underground electro (Uffie, Trentmöller, Pantha du Prince) qui semblent faire vibrer toute une jeunesse confiante à qui un avenir tout occidental va bien finir par sourire. Pour ce qu'il reste des soufi, le goût du raki, ou la pointe de nostalgie qui convient, il faudra chercher dans les faubourgs éloignés et populeux, dans les cafés pleins de moustaches à bérets ou même encore dans les ruelles autour du Grand Bazar. Au détour d'une porte dérobée, on pourra entendre à la sauvette quelques bribes de musique traditionnelle (que l'actif label KALAN s'évertue à faire revivre), crachotées par un petit poste radio, ou sifflées par un gamin qui livre les verres de thé léger et fumant aux commerçants tranquilles du quartier. D'oser pousser plus loin encore, que s'ouvriraient les portes discrètes des ateliers où sont toujours martelées à la main les fameuses cymbales qu'elles se dénomment ISTANBUL (Agop ou Mehmet, rivalité fratricides obligent...), TURKISH ou bien sûr Zildjian.
Puis l'appel à la prière des muezzin se mêle aux fumées de la ville, se répond de collines en collines dans un écho lointain et confus rythmé par les cahots réguliers du tramway.
Rumeurs d'une ville qui se fait musique.
Un pont trop loin, (Going East...).

L'Un