lundi 25 juillet 2011

Thomas Belhom: rencontre au Nadir, à Bourges


FM : après ce concert intimiste de ce soir, peux tu nous qualifier ta musique et nous parler de ton parcours ?

TB : qualifier ma musique est toujours quelque chose de difficile pour moi car je suis dedans ; j’ai toujours cherché à sortir des cadres, de ne pas me répéter d’un morceau à l’autre. Dernièrement, quelqu'un m’a dit que j’étais « romantique ». J’aimais bien ça, mais c’est vraiment provisoire !
Mon parcours, c’est assez long car je ne suis pas tout jeune : il a pas mal serpenté, c’est un parcours de voyageur, puisque j’ai été amené à vivre à la frontière du Mexique, y fonder ma famille, femme, enfant…dans ma rue habitait Joey Burns de Calexico: un Français, Naïm Amor, me l'a présenté et du coup nous sommes partis en tournée avec eux; je faisais des maracas, des triangles, en 95-96, il y a longtemps !... A cette époque avec Naïm on a travaillé à la bande son d'un film de Marianne Dissard; à la suite, nous avons monté un duo, Amor Belhom Duo ; on a tourné beaucoup, en France et dans le monde entier, jusqu’à l’arrêt après une tournée avec Miossec qui a duré des mois et des mois.
C’est pas Miossec, il n’y est pour rien !...quelqu’un a fait passé ça un jour, mais je l’aime beaucoup, sa sensibilité, il n’y est pour rien !...mais ce n’est pas la question !!!

FM : ce n’était pas de tout repos, non ?

TB : ça te prend la santé quand même, c’est un phénomène ! Tout ça pour dire qu’on a une histoire avec la France ; on avait un label aux Etats-Unis (Carrot Top : label de dark-country, comme Handsome Family…) et un en France, on était chez Ici d’Ailleurs (Yann Tiersen). D’ailleurs, avec l’argent que Y. Tiersen rapportait, le label finançait des petits groupes comme nous.

FM : c’est bien ça, que des groupes moins connus, des groupes en création…

TB : le mot création, oui... et par rapport à cet endroit, le Nadir (salle gérée par l’association Emmetrop, à Bourges, ndr), je vois un ensemble, il y a le programmateur, l’association, la salle, des locaux de répétition, des labos et ateliers, un bâtiment avec des arts plastiques (le Transpalette, ndr), tout un ensemble de gens, j’aime beaucoup ce genre de lieu, et ça me touche beaucoup de jouer ici, en dehors du Printemps de Bourges. Le PDB, je n’ai rien contre son existence, mais Emmetrop montre que l’on peut aussi exister ailleurs et autrement à Bourges. Ça ne me parait vraiment pas évident. Le PDB c’est la diffusion, c’est le coup de projecteur uniquement ; alors que la création, c’est les résidences, le côté laboratoire, le côté permanent, ça c’est la vraie culture, la culture du quotidien, la vraie.
Car aujourd’hui, c’est la signification de culture qui est galvaudée : quelquefois, c’est synonyme de loisirs quasiment, comme aller au musée…mais la culture, les gens peuvent se l’approprier, la faire. Pour tous et par tous. Ça me tient à cœur, aussi pour les enfants, l’avenir. C’est donc plutôt ce qui est dans l’ombre qui me touche plus. Qui m’éveille.
Le coup du projecteur, oui, j’en ai profité à une époque, je sais plus avec qui d’ailleurs, c’est utile aussi.

FM : le coup de projecteur, ça peut aider à un moment, être devant les médias, les professionnels, se faire connaître...

TB : oui après on peut prendre plus de temps et rentrer dans les détails mais ça va être plus abstrait et plus philosophique. Parce que ça vise quelque chose qu’on appellerait le succès ou quelque chose comme ça. Il y a une idée du succès déjà à l’avance. Or, peut-être que l’on cherche d’autres choses quand on est musicien. D’autres choses que d’être une star, comme les gens pourraient le penser… De toute façon, je ne pense pas que l’on puisse décider d’être une star. Je crois que c’est des trucs complètement absurdes. C’est vrai, il y a des jeunes, très jeunes même, qui disent que le métier qu’ils veulent faire, c’est star, être une star ; c’est vrai que c’est pas idiot, quand t’as 14 ans. A la limite, c’est chouette comme métier ; mais c’est tellement abstrait, ça ne veut tellement rien dire, c’est touchant de naïveté.

FM : c'est-à-dire que star, c’est synonyme de gagner de l’argent, d’avoir une belle vie…

TB : oui, et bien ça avoir une belle vie, j’espère que c’est un rêve qui n’est pas un privilège de star, tout le monde a cette ambition quelque part au fond de lui. Avec tout ce qui va avec. Et il y a tout un discours les artistes et l’art, qui me …il y en a partout de l’art, et l’art ce n’est pas facile à réaliser. On cherche, on passe beaucoup de notre temps à chercher à le faire, on est des chercheurs. Et quelquefois on trouve, il y a des moments de grâce, et c’est pour ça que l’on continue !
Après toutes ces heures et ces jours, il y a beaucoup de pratique, c’est indispensable et complexe, c’est pour cela que je disais que ça dépend du temps que va durer l’interview !!!

SL : tu parlais de ton parcours tout à l’heure, ce qui te caractérise, c’est ton côté arpenteur : tu as beaucoup bougé géographiquement, pour rencontrer des gens, ce qui est une des matières premières des musiciens, et des créateurs en général. Tu l’as fait sur un territoire assez proche, mais aussi loin, Etats-Unis, tu as travaillé avec Tindersticks et beaucoup d’autres…

TB : c’est la période anglaise, ça c’est des gens qui sont venus vers moi. Quand Stuart est venu me demander de participer à la musique pour un film de Claire Denis, c’était Stuart, pas Tindersticks, avec Terry Edwards, ancien trompetiste de Madness, Tom Waits, Marianne Faithfull, Lydia Lunch…en trio, et puis évidemment, Stuart était comme un grand frère, il me prenait sous son aile, et essayait de m’aider surtout que je me mettais à chanter à ce moment là ; et trouver sa voix est difficile… !!!
C’était pas un coach, on a vecu ensemble, puisque les tournées des Tindersticks, c’était quelque chose…ils sortent un album et c’est un an et demi- deux ans de bloqués pour tourner, sur minimum trois continents ; ça te prend une grosse partie de ta vie, on est ensemble, c’est intense, à vivre quasiment ensemble tout le temps. Et en plus, dans les Tindersticks, il y a une élégance, une certaine pudeur, où l’on n’est pas là à se raconter tout le temps les choses, il y a une distance permanente tout en étant intimes. Pour parler franchement, on partageait un tourbus où il y avait 16 lits, c’est un des plus grands tour-bus d’Angleterre d’ailleurs, c’était même une galère pour le trouver. On était 16, et on faisait comme si on avait chacun notre appartement ; il y avait une grande pudeur, et j’aime beaucoup ça chez les anglais, une sorte d’élégance, oui ce sont des gentlemen, vraiment.

SL : nécessaire pudeur, tu parlais tout à l’heure de cessions marathon d’enregistrement en studio en Angleterre, et c’est vrai que si tu n’as pas une retenue et une écoute de l’autre importante, ça ne te permet pas d’aller au bout des choses, dans le travail.

TB : oui aller au bout des choses, j’ai appris ça avec eux, dans les Calexico également, il y avait ça. Avec David Grubbs aussi, Gastr del Sol, Jim O’Rourke…eux c’est différent, ils essaient de faire émerger : ils sont en terre inconnue, et ils essayent de maîtriser cette terre inconnue. C’est complètement…eux c’est…ils parlent avec les dieux, les dieux de la musique, ils essaient de les faire venir, il a quelque chose de vraiment curieux là dedans. Les Tindersticks, il y a quelque chose de très rationnel, ça a un côté ouvrier anglais ; les ouvriers de la musique, c’est les répétitions de 7h du matin à 23h…avec des pauses…de bières d’ailleurs…j’étais le seul à boire un café à 10h, ils sont tous à la pinte ! Arrivé à 23h, c’est des litres qui ont été bus, c’est incroyable de tenir comme ça, faut être anglais je crois ! Ou breton peut-être…
En tous les cas, il y avait un acharnement à obtenir ce qu’ils cherchent ; Stuart a une idée précise de là où il veut aller, et des fois on faisait 23 prises du même morceau où il déplaçait les micros de 2cm, « on va la refaire ! », ou changer une note : et on la refaisait une 27ème fois, et la prise qui se trouve sur l’album, c’est la 56ème…et effectivement c’est justifié au bout du compte. C’est presque comme de la transe, au début c’est dur pénible, et on dépasse ça pour se retrouver dans la matière même de la musique ; là ça devient autre chose, on affine !
Et il y a aussi tout un buziness derrière, où l’on a des journées bloquées pour enregistrer, il y a beaucoup de personnes, 16 avec les techniciens, un à Prague, moi en Arizona, un à Nashville, à Notthingham, les autres à Londres, une logistique !... C’est presque miraculeux ! Le fait de se lever le matin, se dire bonjour et d’être tous là ! On en est conscient, on a rendez-vous avec le miracle… si on y arrive pas, des jours c’est comme ça, on est dans le côté ouvrier de la musique. Je l’ai vu chez les anglais. Ils ne lâchent pas le morceau, ils travaillent, j’ai moins vu ça en France. En France, il y a d’autres qualités.

FM : de quels instruments jouais tu avec eux ?

TB : du vibraphone et de la batterie. Et des percussions aussi…et j’ai même chanté, il y a une chanson en français : au départ, j’avais fait une voix témoin pour que Stuart apprenne en français, mais ça a été une telle catastrophe, qu’il a décidé de garder la voix témoin dans la version finale sur l’album ! J’étais étonné ! C’est une chanson qui s’appelle « all the love », et il y a une autre version qui s’appelle « tout l’amour », avec Christine (Yann Tiersen, Radiohead) qui joue des ondes martenot.

FM : quels sont tes projets à venir ?

TB : plus les choses avancent et plus j’ai envie de faire du cinéma, de la vidéo. Ça sera dans 5 ans, mais je me prépare à ça. En ce moment je suis animé par le fait de rejouer en groupe car j’ai joué longtemps solo. J’étais aussi chauffeur, à partir dans le sud de l’Italie tout seul, et pour me motiver, je me disais « -combien de chauffeurs on la chance de monter sur scène tous les soirs ? -ah oui c’est vrai ! »…j’en pouvais plus !...
Et donc là je suis heureux d’être accompagné, en plus ce sont de merveilleux musiciens : Pierre à la guitare, Paul au tuba, Antoine au violoncelle, avec une bonne dynamique. Là-dessus se rajoute Alexandre, un performeur qui lance des vidéos que j’ai fait, et une danseuse hollandaise tout droit sortie des années 80 :  c’est cette équipe que je monte, mon projet. Plus Johann le Guillerm, un circassien, avec qui j’ai été élevé, nous travaillons des vidéos qui serviront. Il va interagir, on est en train de construire tout ça. Ça sera probablement prêt en Octobre 2011, mais j’ai un album qui sortira début 2012, et c’est avec ça que je tournerais.
Par ailleurs, j’ai aussi une composition plus musique contemporaine, sur le thème des maladies infectieuses : c’est un thème qui va s’infiltrer, se développer à la manière d’un virus, dans des structures rythmiques. Elle fait trois fois 20 minutes, et je la jouerai dans des lieux plus grands, comme avec le conservatoire de Strasbourg, nous le jouerions avec un orchestre philharmonique. C’est plus lié à des musiques de films.
J’ai fait par exemple des musiques de films de kung-fu, dont certains extraits sont dans Cheval Oblique, un album instrumental de percussions. Je tiens à préciser d’ailleurs que c’étaient des films japonais, alors que le kung-fu est chinois !!! Voilà, c’est juste ça !...

Longue vie à Emmetrop, tout ça c’est important, cet aspect laboratoire : les gens comme vous qui vont voir dans l’ombre. La créativité naît de cela, des processus, et des rencontres. Il faut être sensible à ça. Merci !

NDR:et merci à Thomas et Naïm pour leurs humanités.
L'Autre

et lire l'article de L'Un sur l'album Cheval Oblique 

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