dimanche 10 mars 2024

GEINS'T NAÏT, Laurent PETITGAND & SCANNER "Et il y avait"

"Dieu créa le désert, puis furieux, il lui jeta des pierres." (proverbe arabe)

 

Un grand bond en arrière avec trois figures d’autres époques qui continuent de tisser leurs toiles en croisant les chemins. Et dans une exquise discrétion. Bah, vais pas me la raconter, étant passé largement à côté de la musique industrielle de GEINS’T NAÏT ou du travail pour le cinéma de Laurent PETITGAND. Des noms, derrière lesquels flottait un grand point d’interrogation. SCANNER (aka Robin Rimbaud) aura davantage occupé mes oreilles avec son travail de chasse aux ondes courtes sur les fréquences radio. Une des figures de l’ambient/IDM qui pointait alors son nez dans les années 90’s. Les deux premiers protagonistes ont entamé ce travail de collaboration depuis plus d’une décennie déjà. Cinquième album, et SCANNER s’est embarqué sur le projet avec l’avant-dernier OLA, il y a 2 ans de ça. Travail d’introspection sensible, à dompter les échos de leurs passés lointains. La musique proposée se décline en amples mouvements à la fois tendus et déliés. De longs panoramiques introspectifs souvent parasités par les voix des éthers de Robin Rimbaud. Des nuances, vaguement orientales, le plus souvent noyées dans ces profondeurs arides.. Les déflagrations (post-) industrielles s’immiscent en interludes perturbateurs. L'immersion se fait à la tangente de lignes sans fond, à recoller la triangulation complice de ces trois entités musicales qui nous livre là une version des plus ambiantes de leur travail. On a souvent l'impression de se passer à la dérobée la b.o alternative d'un énième épisode de Dune. Ou d'un remix étiré du récent Ô Seuil de Mathias DELPLANQUE après une Longue Marche hallucinée dans le désert et ses mirages. Bon ok, j'exagère un peu....

 

L'Un.

GEINS'T NAÏT, Laurent PETITGAND & SCANNER "Et il y avait" (IciD'Ailleurs. 2023).

 

mardi 20 février 2024

EYE FLYS "s/t"

"Où ça nous mène, la folie des hommes. On court tout droit à notre perte." (La Classe Américaine)

 

 

Avec sa ligne éditoriale à la fois pointue et ouverte, le label Thrill Jockey n’a jamais renâclé à proposer dans son catalogue des musiques « extrêmes » même si ce n’est pas forcément inscrit dans son ADN originel. C’est comme ça qu’au milieu de trucs avant-gardistes, électro IDM ou post-machin on peut y trouver le trash débile (et sans solo) des excellents OOZING WOUND, BUMMER, les lourdeurs (post-….) hardcore de PELICAN ou encore le black-metal trendy des newyorkais de LITURGY. Du coup avec les scories purulentes du dernier EYE FLYS, on n’a pas à craindre une quelconque erreur d’aiguillage : l’auditeur avisé qui sommeille en nous sait par avance que la qualité sera au rendez-vous. Et avec son noise-rock rampant et régressif, le groupe comme échappé d’un cauchemar mécanique ne dénote en rien. Mais dissone. Racle. Et inquiète. Alors certes, rien de nouveau sous les horizons du bruit blanc, la formule a été rodée et élimée depuis longtemps, avec des trucs puissants comme UNSANE ou n’importe quel groupe du label Amphetamine Reptile régnant sans partage au milieu des faux-prophètes depuis quelques décennies. EYE FLYS reprend les rênes et son bâton de pèlerin à la suite, à prêcher son blues tout en profanes sursaturations. Alors oui, sans surprise ça sue, ça saigne et ça bastonne mid-tempo alourdi. Frontaux, les assauts sonores baignent dans ce bain d’huile mécanique du moteur diesel en rodage. Plutôt étonnant cet exercice de lenteur au vu du background plutôt agité des gars (FULL of HELL, TRIAC ou BACKSLIDERS).  Probablement un prétexte pour une réunion d’arrière-cour entre potes histoire de savourer ensemble une tartine de verre pilé et quelques shots de liqueur amère pour faire passer. Attention toute particulière pour le chanteur à qui on hésite entre l’adresse d’un bon oto-rhino ou quelques séances de psychothérapie phase terminale. Et ainsi va la vie, à régurgiter sa bile, son mal-être face au constat toujours plus affligeant d’un monde qui part à vau l’eau… Alors ouais, tout ça on l’a déjà entendu et ressassé, et c’est pas cet album éponyme et bien resserré qui va changer la face du monde. A l’ouest des tropiques enfumés, rien de bien nouveau… Mais dans la catégorie grands braillards au cœur lourd, si par un heureux hasard vous cherchiez encore le chainon manquant entre HAWKS et les vieux misanthropes d’EYEHATEGOD, le charme vicié et hargneux d’EYE FLYS pourrait combler tous vos espoirs meurtris et frustrés. Pour notre part, on aura rempli notre quota de musique agressive pour cette année du Dragon.

 

L'Un.

EYE FLYS : "s/t" (ThrillJockey. 2023)


  

mercredi 7 février 2024

Mario Lino STANCATI "Revision"

(*) A global network of aural disorientation

 

Jeter une oreille timide et discrète dans la nébuleuse du label Unexplained Sounds(*) comporte toujours cette part de risque incalculable d’une plongée irréversible de l’autre côté du miroir de ce grand océan sonore raccordé à notre monde tangible. On se situe à peu près au centre d’une fourmilière enfouie d’activistes et autres alchimistes incantatoire du son et des ondes carrées. Une vivace Internationale Bruitiste du bruit pour la beauté du geste sonore dont les liens n’ont eu de cesse de se renforcer/ramifier depuis l’invention d’internet (euh oui, avant la bonne parole circulait en échangeant des musicassettes enregistrées par voie postale…). Alors plutôt que de s’attaquer à la face nord de ce catalogue et de cette démultiplication de micro-labels parallèles, une des productions les plus récentes d’Unexplained Sounds est peut-être la meilleure porte d’entrée pour qui aurait perdu les clés en cours de route… : « Revision », de Mario Lino STANCATI, dont les fréquences touffues et espiègles ont su capter l’attention. L’oreille (aux aguets). Et le lobe pariétal du cerveau enfumé. L’album compile ses travaux sur la période 2017 et 2021 et par sa forme ouverte se présente plus comme un flux continu à rejoindre sur n’importe quelle piste, comme on prend un train en marche. Le travelling est fractal et sursaturé d’échos et brouillages électromagnétiques. De se sentir happé dans des paysages sonores amorphes qui ressemblent souvent à de sombres incantations de l’infra-ordinaire. Les frontières entre technologie et bricolage, impro et écriture, rêve et réalité se brouillent ; se rejoignent. Se confondent. La forme est libre, erratique et aussi joyeuse qu’un apprenti boulanger qui démonte un moteur électrique sans mode d’emploi.  A cheval entre un présent devenu dystopique et les échos grésillant d’un passé en boucle, les triturations de Mario Lino STANCATI s’affranchissent de pas mal de convenances et autres considérations temporelles. Le plaisir physique de manipuler les sons est prégnant. Une fois passée cette porte de cette Revision, vous pouvez plonger dans le catalogue d’Unexplained Sounds sans retenue, aucune. De toutes façons il n’y a pas de filet, et les règles de navigation se réduisent à quelques considérations faussement industrialo-ésotérico-quantiques

 

L'Un.

Mario Lino STANCATI "Revision" (UnexplainedSounds. 2023).